La Corbeille, vecteur de citoyenneté ?


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Le 18 février dernier 40 citoyens de 8 à 60 ans ont joué à la Bourse !

 

Le centre Social et Culturel « Le Paris des Faubourgs » de Paris 10 m’a invitée à animer le Jeu « La Corbeille » dans le cadre de leur exposition « l’argent et le citoyen ».

Pour tout âge et tout public, ce jeu est conçu pour dépasser les fractures de langues, d’alphabétisation et de phobie des nombres, en utilisant des cartes à jouer, des coupons, des bonbons et des pinces à linge.

Il s’agit pour les joueurs de s’imaginer habitants d’un village où des « murs » doivent être rassemblés pour construire des « maisons ». Les « murs » sont représentés par des cartes à jouer, et les « maisons » par les carrés (4 cartes de même valeur) obtenus en échangeant les cartes avec ses voisins. Au début chacun reçoit 4 cartes/murs au hasard. A chaque carré/maison créé un bonbon est donné au bâtisseur ainsi que 4 nouvelles cartes/murs afin qu’il continue à échanger pour construire.

La dynamique de jeu est expérimentée à 3 reprises avec des systèmes d’échange différents. A l’issue des 10 mn de chaque tour, les bonbons/maisons sont comptés et nous prenons un temps pour partager nos observations sur ce que nous venons de vivre individuellement et collectivement. Après avoir joué les 3 tours, nous prenons un temps pour les comparer et pour voir ensemble lequel nous paraît le plus approprié.

Le 1er tour, les joueurs échangent par le « troc ». Il n’y a aucune monnaie et il faut trouver un voisin qui a une carte dont on a besoin ET que lui ai besoin d’une des nôtres. C’est la « double réciprocité » qui permet à chacun d’être satisfait de l’échange.

Au 2nd tour la monnaie est introduite par une banque centrale qui émet des billets. Ceux-ci sont distribués parcimonieusement et inéquitablement aux villageois, représentant l’héritage que certains seulement reçoivent. Les cartes vont alors s’échanger par la vente et l’achat, c’est à dire qu’il faut 1 billet pour acheter 1 carte. Pour palier au manque de monnaie, les joueurs peuvent emprunter à la banque moyennant intérêts – le prêt de 2 billets doit être remboursé par 3.

Lors du 3e tour un autre support d’échange est proposé. Chacun reçoit un « porte-monnaie » sous forme d’un bracelet gradué de « -5 » à « +5 » avec une petite pince positionné sur le « 0 ». A chaque échange de carte le vendeur avance de « +1 » et l’acheteur recule de « -1 ». On ne peut aller au-delà de « +5 » et « -5 » et c’est en vendant ou en achetant qu’on se débloque. La somme de tous les « portes-monnaies » est donc toujours égale à 0. Ce système est appelé « crédit mutuel » ou « troc notifié » ou « mécanisme de compensation ».

 

Les mêmes phénomènes sont observés dans la plupart des cas :

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Le 1er tour permet la création de quelques carrés/maisons et les relations entre voisins sont sereines et bienveillantes. Rapidement, et malgré les instructions, les joueurs vont accepter des cartes/murs qui ne les intéressent pas pour permettre à l’autre de faire l’assemblage fructueux. Ainsi un des deux se dévoue en faisant un échange déséquilibré selon son propre besoin.

Ici c’est sympa et bon pour les relations sociales et ce n’est pas très efficace et cela créé des sauveurs et des sauvés.

Pendant le 2nd tour, l’ambiance est électrique, le niveau sonore très haut, on est vraiment à la Bourse ! Beaucoup de carrés/maisons sont assemblés, les emprunts s’accélèrent avec le désir de réussir, tous s’enfièvrent, la compétition est forte ! Puis viens le moment de rembourser, et là ce n’est plus drôle du tout ! Au minimum 20% des villageois se retrouvent en prison pour faillite, ayant été spolié de leurs bonbons/patrimoine par la banque pour recouvrer leurs dettes. Un ou deux joueurs ont beaucoup de billets en leur main. La banque a récolté une grande partie des bonbons pour hypothèque et des billets pour remboursement, sans avoir travaillé aux assemblages.

Ici l’efficacité est remarquable. Le grand gagnant est la banque qui réussit à récupérer une grande part de la richesse produite par les villageois. Les relations sociales sont quasi inexistantes, chacun étant obnubilé par son propre objectif il ne regarde plus que les billets. L’exclusion des surendettés et la concentration des billets dans de rares mains créées un goût amer. Les premiers sont-ils irresponsables et paresseux, et les seconds habiles et actifs ?? Est-il juste que la banque sorte vainqueur ??

Le 3e tour est entamé avec doute et questionnement. Peu à peu les échanges fusent dès que l’usage du nouvel outil monétaire est bien compris. Certains oscillent facilement du « + » au « – », d’autres préfèrent rester au dessus de « 0 ». La distribution de bonbons devient frénétique tant les échanges sont fluides. La somme des « portes-monnaies » n’est jamais à 0 à cause des erreurs humaines à déplacer précisément la pince sur la graduation.

Ici, l’efficacité est égale ou supérieure au 2nd tour, personne n’est en prison, aucune banque ne s’est appropriée la richesse créée et les relations sont légères et joyeuses. Le fait de descendre en négatif n’est plus une honte, c’est naturel comme la respiration « inspire » lorsque je monte en « + » et « expire » en descendant vers « – », un temps pour donner, un autre pour recevoir. Il apparaît cependant un nouveau besoin : un outil pour nous aider à bien comptabiliser nos échanges. Grâce aux technologies de l’information, ceci peut être fait avec des sms, des serveurs vocaux et des plateformes internet.

 

En 1h de rigolade, des questionnements émergent, des prises de conscience sont faites. La compréhension de l’influence de notre système monétaire actuel sur nos comportements, en dehors de ce que les gens sont, ouvre un espace. Un désir réalisable de s’organiser autrement apparaît, une motivation à agir émerge. Les concepts entendus autour des monnaies complémentaires et autres alternatives économiques prennent de la consistance et de la clarté. Chacun a pu se faire sa propre opinion par sa propre expérience, il n’a plus besoin de croire, il sait.

 

Lors de cette journée les enfants m’ont bien aidé à distribuer les cartes et les bonbons, et ils ont su très vite s’approprier le « porte-monnaie ».

Mon cœur s’est réjouit lorsque Linda 13 ans a conclu :

« Si je comprends bien, je ne dois pas attendre d’avoir de l’argent pour réaliser mes rêves » !

 

Sybille Saint Girons, avril 2014

 

Des Liens pour aller plus loin :

 

 

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